L'art à l'épreuve de la ville

affiche exposition sur l'art à l'épreuve de la ville

Auteurs : Tilo Steireif (dir.), Denis Leuba (préface), Nils Norman, Aurélie Camuset, Sophie Huguenot, John Didier, Jérôme Bichsel, Nicole Goetschi Danesi, Microsillons, Yves Leresche, Yves Mettler, Sylvain Froidevaux, Cyril Bron.

Titre : L’art à l’épreuve de la ville,  Cahier UER-AT n°1, Lausanne, Haute école pédagogique, 2016

Le rôle de l'artiste dans l'espace public

Extrait de l'introduction (Tilo Steireif): 

"Pour bien comprendre le rôle de l’artiste d’aujourd’hui dans l’espace public, il est important de le considérer dans sa capacité transversale d’agir tant pédagogiquement qu’esthétiquement. L’artiste qui nous intéresse ici est un membre de la communauté agissant au quotidien. Gregory Sholette propose le terme de Dark Matter «matière noire», lorsque l’artiste ne travaille pas pour parvenir à un statut approuvé et «muséifiable».

Faire un pas de côté pour observer, questionner les usages quotidiens, penser le territoire urbain comme un lieu changeant qui nécessite de construire un regard neuf et subjectif; c'est aussi construire l’histoire locale par des mini-investigations donnant à voir différemment des environnements et des contextes de vie.

Nicole Goetschi Danesi explore le tracé, le chemin qui nous est donné par les rues et les places que nous reconstruisons mentalement à partir de références culturelles. Jérôme Bichsel propose d’intégrer le Land Art en ville, pratiquer la permaculture et questionner le rapport actuel nature-culture avec des groupes de jeunes dans la banlieue de Barcelone. Le projet 60x60 (à la base, Sylvain Froidevaux, Cyril Bron, Tilo Steireif) réunit depuis 2010 des artistes et des habitant-e-s dans le quartier de la Jonction à Genève pour partager l’histoire de la cité Honegger, stimuler les rencontres, les actions à la fois artistiques, sociales et politiques.

Il s’agit donc d’interroger la posture d’auteur tant chez l’artiste, le pédagogue, qu’auprès du / de la médiateur-trice culturel-le. Les articles de ce cahier tentent de nous rendre attentifs
à la qualité de l’environnement construit, à la capacité de chacun-e d’y trouver une place, d’y percevoir des singularités, de s’y inscrire, d'y trouver un lieu de discussion, d’appropriation et de connaissance réciproque à travers l’art. La pratique artistique sert donc de plate-forme d’échange et trouve ainsi une valeur pédagogique. Elle stimule l’action par des projets réels d’usages entre les individus, les associations, les institutions et les espaces quotidiens de la ville.

La pratique artistique comme valeur pédagogique

«Microsillons» (Marianne Guarino-Huet, Olivier Desvoignes) expose le projet de médiation avec des étudiant-e-s en art de la HEAD dans un quartier périphérique de Genève (les Libellules). Ils redéfinissent la médiation culturelle en la considérant comme une
forme active, partagée et innovante, se démarquant de la médiation culturelle classique qui associe l’institution muséale avec divers publics. Nils Norman et Michael Cataldi ont élaboré une pratique pédagogique qui utilise la ville comme ressource. Ils ont pu organiser une exposition dans le SculptureCenter de New York avec des étudiant-e-s d’une école atypique, la «City as School». «The University of Trash» est un espace architectural produit par des apprenant-e-s qui comprend aussi des reportages, objets, peinture, radio, recyclage de déchets.

Plus près de nous, le photographe lausannois Yves Leresche, dans «la quête infatigable du paradis», propose de sensibiliser la population à la complexité du monde Rom à partir d’espaces d’exposition variés et itinérants, conçus par lui-même pour mieux atteindre le grand public. Yves Mettler cartographie les usages et symboles liés aux places publiques, notamment celles nommées «place de l’Europe». Son intervention «Viens voir les bancs à l’Abreu» nous informe sur le concept d’un banc public fabriquable par tous; on y voit l’artiste agir dans l’espace public de manière directe, presque transgressive, sans savoir toujours comment vont réagir les habitant-e-s et les pouvoirs publics.

Nicole Goetschi Danesi transforme l’expérimentation en pratique dans une approche introspective des lieux publics signés, homologués par des plaques (de rues, de places);
ses errances nous font découvrir, à l’image de l’«Atlas du roman européen» (1800-1900) de Franco Moretti, des potentialités de la ville à créer des histoires, des liens affectifs; elle propose une forme d’invitation au voyage dans un environnement quotidien, un carnet de croquis à la main.

John Didier, Aurélie Camuset et Sophie Huguenot nous livrent deux expériences didactiques touchant l’habitat et le quartier; la médiation culturelle commence au sein de la classe avec la constitution d’un lien affectif à un lieu et à travers la production d’un objet artistique ou technique, qui peut être discuté tant dans son élaboration que dans son rapport au monde. A travers le regard, les gestes artisanaux et un commentaire partagé sur un objet réalisé, les élèves renforcent leur confiance et entrevoient naturellement une forme d’éthique de la création qui combine esthétique, travail en atelier et subjectivité. La production d’un objet n’est donc nullement portée à avoir une fonction prédéterminée, mais l’appropriation de cet objet par l’apprenant-e fait appel à l’expérience et à la connaissance pour nous émanciper d’un monde déjà fait et pour manifester une possibilité d’agir sur ce monde.


Jérôme Bichsel est enseignant en arts visuels. A l’occasion d’un congé sabbatique, il décide de prendre la poudre d’escampette pour aller à Barcelone. Il y retrouve la fraîcheur de sa pratique artistique et s’inscrit dans une quête du «lieu-lien», à la recherche d’espaces partagés où chacun-e reprend humblement le chemin d’une co-construction.

Dans l’anonymat de la ville, le partage des subjectivités vis-à-vis d’un espace de vie finit par éveiller une conscience politique. Quand ils se côtoient, les habitant-e-s parviennent à améliorer leur cadre de vie et à rendre les autorités attentives à des problématiques invisibles. Le projet 60x60 montre comment s’opère la prise en charge d’un environnement partagé par les locataires d’un ensemble de barres d’immeubles à Genève.

Cyril Bron partage son expérience personnelle dans «Opération paillasson» au sein du projet artistique «60x60». L’action dans un espace fonctionnel porte à la suspicion dès qu’il y a un écart dans les usages et pourtant, la démarche artistique ouvre quand même les portes. Nous découvrons comment la poésie naît: un peu de hasard dans un univers normé et l’attente d’un contact improbable. Le paillasson en devient l’objet central: à la fois conceptuel, théorique et esthétique.

Dans le même projet, Sylvain Froidevaux élabore le concept d’artiste comme locataire. Ce n’est pas tant l’objet ou l’événement qui porte une valeur artistique, mais bien la démarche artistique qui devient un dispositif ouvert et qui convoque à la fois des actions artistiques, des opportunités d’activités et une micro-gouvernance partagée.

Il y aurait, selon Marshall McLuhan, un lien direct entre la mise en activité d’un individu et l’environnement qui nous entoure. L’espace quotidien forgerait en quelque sorte notre caractère. Selon John Dewey, cet environnement nous renvoie directement ou indirectement à ce qu’on a le droit d’y faire et influence de ce fait notre capacité d’apprentissage. Retrouver par le biais de l’enseignement un contact avec son environnement de vie tout en se servant de la position de l’auteur (ce que proposent les didacticien-ne-s de l’UER AT dans les arts visuels, les activités créatrices manuelles), nous autorise à nous projeter dans une société interactive positive, non seulement sur le plan de la technologie, mais aussi dans l’école et l’espace public."

lien vers publication :

https://www.hepl.ch/files/live/sites/systemsite/files/uer-at/cahier-1-uerat-tilo-steireif.pdf

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